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Le réalisme c’est de sauver nos services publics

Dans une tribune publiée par Ouest-France, Yohann Nédélec, président du CNFPT (centre national de la fonction publique territoriale) appelle les électrices et les électeurs, à se poser la question, au moment de voter : Quel service public voulons-nous pour notre pays, collectivement ?

« Ils sont l’un des enjeux de cette campagne législative. Ils sont les repères quotidiens dans la vie des Français. Santé, éducation, justice, police, petite enfance, dépendance, voirie, gestion des ordures… En 2024, les Français demeurent, plus que jamais, attachés à leurs services publics locaux. Au total, 81 % des Français se déclarent satisfaits de la qualité de « leurs » services publics locaux, d’après la dernière étude réalisée par l’institut Kantar, en 2023, sur « Les attentes des citoyens ». Ils sont à 79 % attachés à ces services, qu’ils sont 66 % à utiliser régulièrement. La décentralisation dans son ensemble suscite des niveaux d’adhésion comparable, avec 80 % d’approbation et 72 % de Français désireux qu’elle aille encore plus loin.

Le plus remarquable, dans le contexte de triple crise économique, sociale et politique que nous traversons, c’est que cet attachement rassemble tous les Français, quelles que soient leur classe d’âge ou leur catégorie sociale, qu’ils habitent en zone urbaine, périurbaine ou même rurale, d’où les services publics locaux disparaissent pourtant régulièrement depuis plus d’une vingtaine d’années.

Ce soutien est logique, après tous les sacrifices consentis pendant la crise COVID, notamment, par les 1,9 million de fonctionnaires territoriaux qui font tourner ces services, exerçant – on le sait peu – près de 250 métiers différents et figurant tous en première ligne.

On ne peut qu’être étonné, dans ces conditions, de voir que ce soutien n’est, en revanche, pas partagé par une large partie de notre classe politique. Une classe politique qui ne se rend compte ni de son complet décalage avec les aspirations des Français ni du caractère profondément blessant des mots qu’elle emploie. On ne compte plus, en effet, le nombre de partis politiques ni de candidats qui s’en prennent à nos agents publics. En les accusant d’être « trop nombreux », « improductifs » ou « peu efficaces ».

Qui sont les « trop nombreux » ? Qui sont les « improductifs » ? Qui sont les « peu efficaces » ? Nos enseignants ? Nos policiers ? Nos magistrats ? Nos ripeurs, qui ramassent nos ordures ménagères ? Nos assistantes maternelles ? Ou nos infirmières ? Qui est en trop ?

En réalité, le problème de la fonction publique, en 2024, ce n’est absolument pas le « trop ». C’est le « trop peu ». Le problème que nous rencontrons, le vrai, ce n’est pas celui de savoir si on peut licencier tel ou tel agent qui manquerait à ses obligations. C’est celui du recrutement. La fonction publique souffre, en effet, d’un manque cruel d’attractivité.

Ce n’est pas un hasard si on a du mal à recruter des enseignants, par exemple. Comme l’actualité l’a montré récemment, avec le recours au « speed dating » dans certaines académies pour sélectionner des candidats, au terme de 30 minutes d’entretien, suivi de seulement 8 jours de formation, avant d’être confronté à une classe, dans une matière qu’on ne maîtrise pas.

La raison pour laquelle on en arrive là est simple : la fonction publique est paupérisée. Au cours des vingt dernières années, les salaires du public ont progressé deux fois moins vite que ceux du privé. Nous ne comptons plus, en France, le nombre de fonctionnaires rémunérés au SMIC, parfois au bout de quinze ou vingt ans de carrière. Le vrai scandale, aujourd’hui, il est là.

C’est, d’ailleurs, tout ce qui nous inquiétait dans le projet de loi sur « l’efficacité de la fonction publique » qui devait être débattu au parlement avant la dissolution, alors même que certaines des mesures de la précédente loi de « transformation de la fonction publique », datant du 6 août 2019, n’avaient pas encore été pleinement appliquées.

Ce projet risquait d’aggraver encore fortement la situation des agents publics en France, et particulièrement celle des fonctionnaires publics territoriaux. Comme j’avais pu l’indiquer au ministre de la Fonction publique, Stanislas Guérini, lors de notre entretien, ce projet ne reposait sur aucun diagnostic.

Les nombreuses réunions qui s’étaient succédées, dont la dernière, en date du mardi 21 mai, réunissait autour du ministre les organisations syndicales et les employeurs, n’avaient pas permis d’identifier les problématiques auxquelles ce nouveau projet de loi était supposé répondre.

La thématique, hors sol, de l’efficacité, tout comme la mise en avant du licenciement, de la rémunération au mérite – comment attribuer une « part variable » dans les rémunérations des agents publics, alors que la notion de profit n’existe pas ? –, ou encore, et c’est sans doute ce qui préoccupait le plus dans ce projet par ailleurs très mal communiqué, la suppression des catégories A, B et C qui structurent notre fonction publique, constituaient autant de pas dans la mauvaise direction.

Les catégories A, B et C permettent aux agents d’avoir de véritables carrières, en leur donnant la possibilité de progresser, notamment à travers les concours administratifs. Les concours permettent l’égalité de chacun. Ils s’opposent aux nominations qui sont le fait du prince. Se former tout au long de sa carrière est aussi ce qui assure, à chacun d’entre nous, le meilleur service public. C’est ce qui permet de faire face aux nombreuses transitions que nous traversons. Parce que la seule question qui vaille, au fond, c’est celle-ci : quel service public voulons-nous pour notre pays, collectivement ?

Nous le savons tous, les services publics ne sont pas des entreprises. Ils créent bien plus, tellement plus, que de la richesse. Ils créent du lien social. Ils créent de la cohésion nationale. Ils sont le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. En l’absence de service public, ce ne sont pas les plus fortunés qui souffrent. Ce sont les classes populaires. Ce sont les classes moyennes. Ce sont toutes celles et tous ceux, l’immense majorité des Français, qui n’ont pas les moyens d’en faire l’économie. On nous dit souvent qu’on doit réformer par « réalisme ». Le réalisme, le vrai, le seul, impose une seule chose, c’est de sauver nos services publics. Gardons-le à l’esprit, au moment de voter. »

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