Le mandat européen qui s’achève a été marqué par plusieurs affaires de corruption au parlement européen dont la plus célèbre fut le Qatargate. La question de la corruption et du rôle joué par les lobbies dans la définition des politiques européennes s’invitera inévitablement dans la campagne qui commence.
Pour mettre fin à ces pratiques qui menacent la démocratie européenne, Chloé Ridel a, dans un webinaire diffusé le 5 février, invité Antoine Vauchez, directeur de recherche au CNRS en sociologie politique et en droit, à décrire le mode ce phénomène et à avancer des propositions pour y mettre fin.
L’Europe est particulièrement visée pour au moins deux raisons. D’abord, et c’est une de ses missions historiques, l’Union européenne doit réguler un marché de 450 millions de consommateurs et de 22 millions d’entreprises en édictant des normes sanitaires, sociales ou environnementales que ses concurrents doivent accepter s’ils veulent s’y implanter.
Avec le Qatargate, on a découvert que les entreprises multinationales ne sont plus les seules à pratiquer le lobbying mais que des États aussi tentent d’influencer la politique européenne.
Ce lobbying est d’autant plus important que l’UE ne dispose pas de contre-pouvoirs, d’une société civile capable de surveiller ses institutions. Il n’existe par exemple aucun quotidien ou média européen capable de faire écho aux scandales.
L’Union européenne est par conséquent très vulnérable. Mais, alors que tout le monde connaît maintenant les risques, elle ne s’est pas encore dotée des outils pour combattre la corruption. Toute sa stratégie repose sur la transparence avec la publication du patrimoine des élu-es et des commissaires. « Mais il n’y a pas de travail sérieux de contrôle ou de sanction. Tout est basé sur l’autorégulation. Ce sont des membres, ou d’anciens membres de l’institution qui sont chargés de contrôler. Or, on sait bien que l’autorégulation a toujours tendance à sous-estimer les problèmes ou à préserver l’institution.
L’Union européenne fait preuve d’un manque d’ambition flagrant à se protéger contre l’influence des multinationales ou des États étrangers.
La transparence, aussi complète soit-elle, ne peut être efficace que si elle va de pair avec une justice pénale européenne. Dans l’affaire du Qatargate, ce sont les juges belges qui ont mené l’enquête qui concernait des élu-es belges mais aussi italiens ou grecs.
Il existe bien un parquet européen mais il ne peut intervenir que sur les délits de fraudes fiscales. Il est incompétent pour se saisir d’une affaire dans laquelle un état étranger a tenté d’orienter une décision politique en corrompant des parlementaires.
Pour Antoine Vauchez, l’Union européenne doit renforcer le parquet européen et lui permettre de se saisir des affaires de corruption mais elle doit aussi se doter d’une police judiciaire européenne afin de mener des enquêtes et ne pas dépendre des polices des Etats.
La corruption est une réalité européenne. Cependant, par définition pour des activités illégales, il est difficile d’en mesurer l’importance. C’est la raison pour laquelle Antoine Vauchez propose la création d’un observatoire permanent des conflits d’intérêts de manière à pouvoir disposer de données indiscutables.
De plus, un système d’incompatibilité pourrait être mis en place de manière à éviter le pantouflage ou les conflits d’intérêts pour les parlementaires, les commissaires et les hauts-fonctionnaires pendant et après leur mandat. Aujourd’hui 30 % des parlementaires européens conservent un second emploi.
Enfin, la lutte contre la corruption passe aussi par le développement de contre-pouvoirs, associatifs et médiatiques capables à la fois de repérer et de dénoncer les conflits d’intérêts et les actes de corruption.
La corruption est un danger mortel pour la démocratie : l’Union européenne, parce ce qu’elle porte l’idéal démocratique dans le monde, doit être au-dessus de tous soupçons et se doter d’outils efficaces pour prévenir, sanctionner et garder la confiance des Européen-nes.