« Celui qui contrôle la peur des gens devient le maître de leurs âmes » disait déjà Machiavel au 16e siècle. L’échec de l’installation d’un centre d’accueil de réfugié.es à Callac, c’est avant tout une histoire de peurs. C’est ce qui est ressorti de la conférence-débat organisée par Visa 29 (Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes), le 16 novembre à Brest, autour du livre d’Erwan Chartier « Callac de Bretagne ou les obsessions de l’extrême-droite française. »
Les Fake news de la fachosphère
Cette peur, c’est d’abord celle que les sites internet de la fachosphère et quelques militant.es ont réussi à instiller dans les esprits des Callacoises et des Callacois en déformant le projet porté par la fondation Merci qui n’était destiné qu’à accueillir une ou deux familles de réfugié.es. Très vite, l’extrême-droite a évoqué la présence de plusieurs centaines de migrant.es : 700 migrants se seraient installés dans cette commune de 2200 habitant.es.
Le Poher, hebdomadaire d’information générale, couvre l’actualité du centre-Bretagne. Sa rédaction a relaté les épisodes de cette affaire, de l’annonce du projet jusqu’à son abandon, en passant par les deux journées de manifestations et de contre-manifestations, en donnant la parole à l’ensemble des protagonistes, ainsi, même si ce fut compliqué, aux Callacoises et aux Callacois.
La liberté de la presse menacée
Et c’est là qu’interviennent les intimidations, cette fois, à l’encontre des journalistes et en particulier d’Erwan Chartier qui a reçu à plusieurs reprises, des menaces de mort après avoir porté plainte contre des sites internet qui le qualifiaient de « collabo ». Le local de l’hebdomadaire a aussi été la cible d’une alerte à la bombe. « Nous nous sommes demandé s’il fallait ou non porter plainte, mais nous sommes arrivés à la conclusion qu’il ne fallait rien laisser passer » a expliqué Erwan Chartier. Même si c’est compliqué, même si ça coûte cher. Même si les sites les plus extrémistes sont domiciliés à l’étranger.
Le rédacteur en chef du Poher n’est pas le seul à avoir été menacé. D’autres journalistes et des élu.es ont également fait l’objet de menaces et ont aussi porté plaintes. A ce jour, une quinzaine sont en cours de traitement.
Au mois de janvier 2023, après plusieurs mois de tensions, la mairie de Callac a finalement décidé d’abandonner le projet Horizon, ce qui, pour l’extrême-droite, fut considéré comme une victoire, accréditant l’idée qu’à coup de fake news et d’intimidations, elle peut parvenir à ses fins.
A Saint-Brévin, elle n’a pas réussi à enterrer le projet de construction d’un nouveau CADA (Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile) mais le maire, dont les voitures ont été brûlées et dont la maison a failli subir le même sort a été contraint de quitter la région.
Comment éviter un nouveau Callac ?
Alors que faire pour éviter de nouveaux Callac ? « Il ne faut rien laisser passer et porter plainte systématiquement lorsqu’il y a intimidation ou menace » estime Erwan Chartier.
Il ne faut pas laisser ces comportements se banaliser. Car, et Callac en apporte une illustration, il ne faut pas longtemps pour transformer une petite ville tranquille en champ de bataille idéologique. Il suffit que quelques sites internet d’extrême-droite montent une affaire en épingle, que des médias comme Cnews en parlent et qu’une organisation, en l’occurrence Reconquête, y organise des manifestations.
C’est comme se promener avec une cible dans le doc
Il faut aussi porter plainte et aller en justice pour faire condamner les auteurs de propos racistes. C’est parce qu’ils ont été condamnés qu’on peut affirmer aujourd’hui que Jean-Marie Le Pen est antisémite et qu’Éric Zémmour est homophobe et incite à la haine.
Les victimes d’intimidations doivent être soutenues et ne pas se sentir abandonnées, justement parce que les auteurs des menaces cherchent à faire peur. Le jour où des journalistes cesseront d’enquêter ou que des élu.es renonceront à leur projet, par peur de représailles, l’extrême-droite aura atteint son objectif. Ce n’est jamais anodin d’être menacé par l’extrême-droite, en particulier dans un contexte de grande tension comme à Callac ou Saint-Brévin. Être désigné sur les sites de la fachosphère, c’est comme se promener avec une cible dans le dos, on ne sait jamais si un exalté ne va pas passer à l’acte. Mais céder à la peur reviendrait à leur donner raison.
Enfin, la question de la liberté de la presse, mais plus encore de la responsabilité des journalistes, doit être posée. Le temps des comptes internet racistes confidentiels est terminé. Aujourd’hui, de grands médias servent de caisses de résonance pour fabriquer de toutes pièces des polémiques aux relents racistes. Cette promotion désinhibe une partie de l’extrême-droite qui sait pouvoir compter sur des chaînes de télé ou des magazines pour relayer les obsessions racistes ou homophobes.
Avec Callac, un cran a été franchi en Bretagne, jusqu’à présent plutôt épargnée. Aux forces de gauche, politiques, associatives ou syndicales, d’en prendre conscience et d’adapter leur stratégie afin de pouvoir s’opposer aux prochaines provocations.