Aujourd’hui, en France, 3 millions d’enfants vivent dans des familles vivant sous le seuil de pauvreté. Si pauvreté n’est pas synonyme d’échec scolaire, force est de constater que les élèves et les parents d’origine modeste rencontrent souvent des difficultés avec l’institution scolaire.
Pour leur donner la parole, Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde, vient de publier « L’égale dignité des invisibles. Quand les sans-voix parlent de l’école ». (Éditions du bord de l’eau). Elle était le 2 mai, à la PAM, à Brest pour le présenter, accompagnée par Valérie et Céline, deux militantes de la métropole qui ont témoigné dans ce livre.
« L’école est le socle de notre démocratie. Or, aujourd’hui, notre système scolaire est terriblement inégalitaire. Il favorise les plus aisés qui ont les codes et l’école laisse sur le bord de la route les plus fragiles » rappelle Marie-Aleth Grard dans l’introduction de son livre. « Grandir dans une famille qui vit dans la grande pauvreté, cela signifie ne pas avoir un coin à soi pour faire ses devoirs, ne pas avoir les bonnes affaires pour le sport, les bonnes fournitures pour les cours… Dès le plus jeune âge, c’est surtout être différent des autres et le ressentir très profondément dans sa chair ».
Un livre de témoignages de ceux qu’on n’entend jamais
« L’ancien ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon m’a proposé d’écrire un ouvrage sur l’éducation pour les éditions du bord de l’eau » a expliqué Marie-Aleth Grard, qui, avant de présider ATD, fut membre du CESE (Conseil économique, social et environnemental) et du conseil supérieur des programmes. « J’ai trouvé que c’était une bonne occasion pour donner la parole à celles et ceux qui ne l’ont jamais, les élèves et parents d’élèves qui vivent dans la grande pauvreté. » En effet, trop souvent, ils et elles se heurtent à des incompréhensions ou à une rigidité administrative.
« L’éducation a toujours été au cœur du projet d’ATD quart monde. Son fondateur, Joseph Wresinski, lorsqu’il a lancé le mouvement dans les bidonvilles de Noisy le Grand, a commencé par prendre trois grandes décisions : mettre en place une laverie, pour que les parents puissent aller chercher du travail et les enfants à l’école, monter une bibliothèque, pour donner accès à la culture et construire un jardin d’enfants pour que parents et enfants puissent se retrouver. L’accès à l’éducation fait partie de l’ADN d’ATD.
« Le cœur de ce livre, ce sont bien les 10 témoignages de militant-es, âgés de 17 à 67 ans, qui racontent leurs parcours scolaires et celui de leurs enfants » a insisté Marie-Aleth Grard. Et une conclusion s’impose : l’éducation nationale ne tient pas suffisamment compte des élèves en difficultés et le parcours scolaire des plus pauvres s’apparente trop souvent à un parcours du combattant.
La pandémie de covid et le confinement ont été une période particulièrement éprouvante pour les familles les plus pauvres qui devaient faire l’école à la maison et se connecter sur internet pour suivre le programme et poster les devoirs.
Choisir l’inclusion pour éviter la ségrégation
Afin de bien mesurer les inégalités scolaires en matière d’orientation, ATD a lancé, avec des universitaires, il y a déjà deux ans, un programme de recherche intitulé CIPES (Choisir l’Inclusion Pour Éviter la Ségrégation). Une quinzaine d’écoles maternelles et élémentaires participent à ce projet dont l’objectif est « de mieux comprendre les mécanismes du déterminisme social qui privent ces jeunes du droit de choisir leur orientation, à l’origine de trop nombreux échecs » a expliqué Marie-Aleth Grard.
Car, il suffirait souvent d’écouter et de tenir compte des points de vue des parents et des élèves. Ou de laisser plus d’initiatives aux enseignant-es. Mais, l’éducation nationale ne laisse que très peu de place aux innovations pédagogiques : tous les élèves doivent suivre le même programme, acquérir les mêmes connaissances au même rythme. Or, des expériences, dans le cadre du programme CIPES montrent qu’il est possible d’obtenir de meilleurs résultats en faisant confiance aux équipes enseignantes. Marie-Aleth Grard a notamment cité en exemple une école de Lyon qui accueille des élèves dont les parents vivent en foyers. En mélangeant les niveaux, les élèves s’entraident et apprennent à leur rythme. Dans cette école, tous les parents ont été consultés et impliqués dans le parcours scolaire de leurs enfants.
Il ressort de tous les témoignages qu’il faut plus d’adultes dans les écoles. Non pas pour remplacer les parents, au contraire, mais pour accompagner les enfants. Le personnel non enseignant a un rôle déterminant à jouer. Ils et elles connaissent les élèves, voient comment ils se comportent en dehors des salles de classe, à la récréation et à la cantine et peuvent informer les enseignant-es.
Le dédoublement des classes en zone d’éducation prioritaire devait faciliter les apprentissages. Cependant, quelques années après sa mise en place, les résultats sont pour le moins mitigés. « Les classes à 12 élèves ne changent pas grand-chose s’il n’y a pas, en plus, des innovations pédagogiques » a regretté Marie-Aleth Grard.
C’est en partant de celui qui éprouve le plus de difficulté qu’on peut faire réussir tout le monde
La réforme des rythmes scolaires n’a malheureusement pas pu être engagée de manière satisfaisante, même si des villes comme Brest continuent à l’appliquer comme l’a souligné l’élue en charge de ce dossier, Émilie Kuchel. En effet, c’est bien à l’école de s’adapter aux rythmes des enfants et le samedi matin reste un moment privilégié. C’est en partant de celui qui éprouve le plus de difficultés qu’on peut faire réussir tout le monde, sans laisser personne de côté. Les enfants des milieux défavorisés ont aussi le droit d’aller à l’école dès le plus jeune âge et de pratiquer, grâce à l’école, des activités périscolaires, culturelles, sportives ou artistiques.