La coupe est pleine et la colère gronde parmi les élu.es qui gèrent des EHPAD (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). Au point que près de 5000 d’entre eux, de 290 collectivités de Bretagne, toutes tendances confondues, ont adopté une motion pour alerter le gouvernement sur la situation financière des EHPAD.
Les élu.es arrivent à la limite de leurs possibilités. « Nous savons gérer des établissements, nous savons mettre en place des dispositifs pour accompagner le vieillissement. Il y a les services d’aides à domicile, (SAD), parfois les services infirmiers d’aide à domicile, (SIA), les résidences autonomie, les foyers logements, toutes les formes de maintien à domicile et d’actions d’accompagnement au maintien à domicile… L’habitat inclusif avec ou sans bailleurs sociaux, les Ehpad qu’ils soient gérés par les CCAS ou des organismes privés à but non lucratif comme c’est le cas en Bretagne. Mais avec les règles financières qu’on nous impose, nous ne savons plus faire » alerte Guy Pennec, maire de Plourin les Morlaix, qui, au congrès des maires a remis une motion, déjà signée par 4000 élu.es breton.nes à la ministre Aurore Bergé.
La situation empire depuis 2021
« J’ai commencé à tirer la sonnette d’alarme dès 2021 après avoir réalisé un audit financier » précise l’élu de Morlaix communauté. La situation financière des EHPAD a commencé à se dégrader juste avant le Covid. « Jusque-là, nous arrivions à boucler nos budgets. Certes à coups de contribution non renouvelables, (CNR), mais nous y arrivions. Paradoxalement, pendant la période du confinement, nous avons pu fonctionner. Mais depuis 2021, la situation s’aggrave au point que des établissements accusent des déficits de plus de 100 000 euros.
« Si je prends l’exemple de l’EHPAD de Plourin les Morlaix, (60 places) J’ai 42,5 équivalents temps pleins (ETP) (postes financés), soit 0,70 ETP par résident/lit. Or nous avons besoin de 48,5 ETP pour atteindre un ratio de 0,80 ETP résident/lit.
La différence des postes n’est pas financée. Nous engrangeons obligatoirement des pertes d’exploitation pour maintenir un niveau de qualité ce qui explique le déficit qui s’élève à 165 000 euros.
Pour tenter de résorber le déficit nous avons réduit un peu les effectifs. Mais cela engendre encore plus d’absentéisme, de maladies professionnelles (TMS), de manque de temps pour les résidents. Les personnels et les encadrants sont sous tension permanente. L’augmentation du reste à charge à payer par le résident ne va pas compenser une insuffisance de financement de l’État, sur la partie soins, et dépendance pour le Département
En fait, nous devons faire face à des causes conjoncturelles comme l’inflation qui affecte nos factures d’énergie, d’alimentation ou les consommables. A cela s’ajoute aussi le reste à charge des mesures sociales prises par l’État, certes justes et méritées, mais dont il reste une partie à notre charge.
Nous sommes aussi confrontés à des causes structurelles liées à des citations GP/Pathos trop tardives de l’ARS, amenant des financements supplémentaires en retard, un montant d’aide prenant insuffisamment en compte la prévention, les alternatives au tout médicamenteux, les revalorisations professionnelles etc… et une pratique de crédits non reconductibles qui ne servent qu’à nous maintenir sous perfusion et qui ne résolvent rien.
De plus, les capacités d’autofinancement nettes CAF sont inexistantes nous empêchant tout investissement.Par exemple aucune banque nous a répondu pour obtenir une ligne de trésorerie.
C’est à croire que personne ne lit les rapports parlementaires
La colère des élu.es est d’autant plus forte que tous les professionnel.les du grand âge savent que nous allons dans le mur. « C’est à croire que personne ne lit les rapports parlementaires » se désole Guy Pennec. « Pourtant, toutes celles et tous ceux qui s’intéressent à la question, comme notamment la députée Christine Pirès-Beaune, aboutissent à la même conclusion : il faut revoir de fond en comble le système de financement de la prise en charge du grand âge. »
Voir le rapport Pirès-Beaune :
La colère s’explique aussi par le sentiment, pour les élu.es qui ont démontré leur capacité à accompagner les personnes âgées dépendantes, que les décisions sont prises par des technocrates des directions régionales et nationales de l’ARS qui font de la politique à leur place. « Mais, par notre mouvement, nous nous faisons aussi les porte-paroles de la société civile et des familles des résident.es mais aussi des salarié.es. La profession souffre d’un manque d’attractivité, en raison des conditions de travail et de rémunération. Nous sommes la première et la dernière digue républicaine entre l’État et les habitants. »
Défendre les valeurs du Conseil national de la Résistance
Alors qu’ils et elles ont cotisé toute leur vie, les conditions de vie des résident.es des EHPAD ne sont pas satisfaisantes. Il y a un an et demi, déjà, la défenseure des droits a publié 64 recommandations pour les améliorer mais à ce jour seules 35 ont été prises en compte. « On sait que ça va prendra du temps mais il faut absolument inventer un nouveau modèle de financement pour que l’ensemble des personnes âgées dépendantes puissent être accueillies de manière satisfaisante. Nous, nous n’avons pas d’actionnaires à rémunérer et nous sommes très attachés à défendre un modèle qui repose sur les valeurs d’égalité et de solidarité. » Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les maires ont monté un collectif qui s’appelle « territoire du grand âge en résistance », en référence au conseil national de la Résistance qui avait, au lendemain de la guerre, construit un système de protection sociale basé sur la solidarité.
Un recours va être engagé au tribunal administratif
Pour provoquer la discussion avec le gouvernement, un recours va être engagé au tribunal administratif, par des CCAS (Centre communal d’action sociale) envers l’État, pour faute de l’administration et pour non-respect de l’obligation de financement aux vues des différents codes qui s’appliquent, provoquant un non-respect des droits fondamentaux de la personne humaine.
Compte tenu de la situation financière des EHPAD, la mobilisation va s’amplifier. Et si le mouvement est parti de Bretagne, il pourrait rapidement s’étendre à d’autres régions…